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Prison en Belgique - La Voix du Nord, 18 février 2014

Le 26 février 2014

Quentin a passé huit mois dans une prison flamande, sans rien y comprendre

Publié le 18/02/2014

Par PLANA RADENOVIC

En février dernier, un home-jacking s’est produit dans la petite commune belge, flamande c’est important, de Wortegem-Petegem. L’un des suspects, Quentin*, est Houplinois. Il a été interpellé le 9 avril chez lui, avant d’être extradé en Flandre belge, où il a fait huit mois de prison… sans avoir été jugé, et sans rien comprendre à la procédure. Si nous avons décidé de le rencontrer, ce n’est pas pour nous prononcer sur son innocence ou sa culpabilité, puisque la justice le fera. Mais son expérience derrière les barreaux flamands, ponctuée d’entrevues ubuesques avec la justice belge, est intéressante. Ce qui suit est un témoignage, pas une tribune.

Quentin va mieux, lorsque nous le rencontrons dans les bureaux de La Voix du Nord. Ce jeune homme de 30 ans au sourire plutôt avenant a pourtant passé huit mois en détention préventive dans la petite bourgade flamande d’Audenarde. Il est ressorti de là sans avoir été jugé, sans même savoir s’il le sera un jour. Et surtout, sans avoir compris ni les raisons pour lesquelles sa détention a été prolongée et re-prolongée, ni celles qui ont poussé la justice à l’autoriser à rentrer chez lui, à Houplines, après avoir payé « 5 000 € de caution ». « J’ai perdu ma mère, assassinée en 2003, alors, ça..., ça glisse », lance-t-il très simplement, sur le ton de la conversation, comme pour justifier son apparent détachement. Il a accepté de témoigner parce que, selon lui, « ça peut arriver à tout le monde ».

« Jamais vu un seul policier »

Le 9 avril, une dizaine de policiers de la Sûreté départementale de Lille viennent cueillir Quentin chez lui, suspecté d’avoir pris part à un home-jacking dans la Belgique flamande. Après un passage par le commissariat central de Lille, et le tribunal lillois, il signe son extradition au tribunal de Douai, « quinze jours » après son interpellation. En clamant son innocence.

C’est à cet instant que la procédure judiciaire, jusque-là plutôt classique – un suspect convaincu de son innocence devant des enquêteurs plus circonspects –, prend une tournure plus originale. En fait, à partir de là, le prévenu Quentin est entré dans un épais brouillard flamand.

La prison était « réputée pour la cantine », et pas marquée par la surpopulation : « Nous étions deux en cellule. » Mais, pendant ces huit mois, Quentin assure n’avoir « jamais vu le juge d’instruction, ni un seul policier ». Et son avocat, Flamand, était « injoignable ».

Le seul moment où il était en contact avec tout ce petit monde était devant la chambre du conseil, lors des audiences successives qui se tenaient tous les vingt-huit jours. Là, « dans ce petit tribunal, où tout le monde se connaît », le jeune homme se sent à part, principalement à cause de la barrière de la langue. « Mon traducteur parlait aussi bien français que moi flamand ! » s’indigne-t-il. « Quand vous parlez avec eux, ils traduisent de la façon dont ils ont envie. » Le terme « voler », par exemple, n’est pas bien compris de ses interlocuteurs.

« Heureusement que je suis quelqu’un de fort psychologiquement »

Certes, son avocat « parle bien français ». Mais, Quentin, très énervé, considère que « leur racisme fait qu’ils ne veulent pas parler avec nous ». Et balance son sentiment : « Quand vous êtes français, vous êtes coupable. »

C’est ainsi que tous les vingt-huit jours, Quentin apprend son retour en prison. Sans comprendre les raisons de ces prolongations. « J’ai vu des braqueurs, belges, sortir sous bracelet, au bout de trois mois et demi de préventive. » Et d’ajouter, tombant un instant son masque de dureté : « Psychologiquement, imaginez ce que ça fait quand vous attendez tous les vingt-huit jours, que vous espérez sortir, et non. »

Le plus dur, pendant tous ces mois derrière les barreaux flamands, était de penser à ses deux enfants, et à ses proches. « S’il arrivait quelque chose à ma grand-mère, je ne pouvais pas être présent… » Cette idée lui trotte dans la tête, tout le temps. « Heureusement que je suis quelqu’un de fort psychologiquement. » D’ailleurs, lorsque la police perquisitionne chez l’aïeule, les pompiers doivent intervenir pour la ranimer. Elle a un pacemaker, et a eu du mal à supporter le choc.

Au bout de huit mois, Quentin ne sait toujours pas pourquoi, le tribunal d’Audenarde l’autorise à rentrer à Houplines. « Les raisons qui m’ont fait sortir de prison sont les mêmes qui ont fait que ma détention était prolongée », croit savoir le jeune homme. Tout ce qu’il sait, c’est que, si l’enquête ne débouche pas sur un non-lieu, le tribunal belge « a cinq ans pour me juger ».

Selon Maître Cherifa Benmouffok, son conseil côté français (malgré plusieurs messages laissés sur le répondeur de son avocat flamand, nous ne sommes jamais parvenus à le joindre. Il en va de même pour le parquet d’Audenarde, qui n’a consenti qu’à nous répondre en flamand), le cas de Quentin est loin d’être unique. « À Audenarde, toute la procédure est en flamand, c’est vrai. S’il a été remis en liberté sans date de jugement, c’est que l’enquête est encore en cours. Il est d’ailleurs encore possible que l’instruction se clôture par un non-lieu. » Dans ce cas, Quentin aurait fait de la prison pour rien. Et sans moyen de recours ? « Ça arrive aussi en France », lance Maître Benmouffok.

Depuis sa sortie fin décembre, Quentin a « repris sa vie comme elle était ». Sa femme, ses enfants, et son travail d’entraîneur sportif. « J’ai repris le foot, depuis sept à huit ans, j’entraîne les petits. Là je donne un coup de main à l’équipe première. »

Qu’il soit suspecté dans cette affaire n’y change rien. « Les proches savent que je n’ai rien à voir dans tout ça, je ne suis pas comme ça. Mais il y a toujours des cons. »

*Le prénom a été modifié

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