Il interrogeait Saad Ahmed sur sa vie, son parcours, quand Zohire Razouki, assis juste à côté, partit d’un rire « anachronique » qu’il ne pouvait manifestement pas réprimer. Chrerifa Benmouffok, son avocate, a volé à son secours : « C’est de ma faute. Nous venons d’avoir un échange ; je vous assure que c’est nerveux. »
Avec Yoann Samangwa, ces trois-là jouent pourtant gros. Ils sont accusés d’avoir braqué les casinos de Lille (le 15 novembre 2010) et Malo-les-Bains (8 février 2011). Mais avant d’en venir aux faits, la cour fait connaissance. L’un après l’autre, ils racontent une enfance dans le quartier populaire de Lille-Sud qu’ils n’ont jamais quitté. Une enfance sans trop de problèmes jusqu’à l’adolescence. Et puis… « Ce quartier, c’est marche ou crève, dit Ahmed. Moi, je me battais souvent parce que je n’ai jamais eu de grand frère. Si je ne voulais pas qu’on m’écrase, je devais me défendre. »
« Mauvaises fréquentations »
Au juge, durant l’instruction, son père l’a dit « gentil, serviable, attentionné », mais il a surtout voulu préciser : « S’il a eu de mauvaises fréquentations, c’est pour faire comme tout le monde. Ce quartier, si on y reste, on ne peut plus s’en sortir. »
Ils ont 27 ou 28 ans aujourd’hui, et déroulent leurs parcours chaotiques, comme dit le psychiatre qui a rencontré Samangwa : « Il est intelligent, il aurait pu aller plus loin. Mais il a sans doute été happé par un milieu socio-culturel auquel il est difficile d’échapper. »
« On n’est pas là pour faire de la sociologie », dit Stéphane Duchemin. C’est pourtant tellement crucial. C’est vrai qu’ils ne sont pas bêtes, ces types. Ils mesurent le gâchis. Et expliquent : « Écouler cinq kilos de cannabis, dans le quartier, ça va relativement vite. Deux semaines, trois semaines… » Et on peut en tirer dix mille euros.
Les mauvaises fréquentations… Ils en parlent tous. La tête basse. Comme de leur premier larcin, souvent un vol de téléphone à la station de métro. Puis les stups, puis la taule. « Et quand on sort, c’est dur », dit Razouki. Retour au quartier que la sœur de Saad Ahmed appelle « le panier de crabes ». « C’est à ce moment-là que j’ai ri, a expliqué Razouki. Parce que je me suis dit que je m’étais bien fait pincer… ».
Cherifa Benmouffok avait raison : c’était nerveux.
ÉRIC DUSSART